Karel HUYBRECHTS & Luc MICHEL
Pour EODE Press Office avec AFP – PCN-SPO / 2013 04 21 /
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La Polynésie française, un des confettis résiduels de l’empire colonial français. Un « territoire » à statut spécial – collectivité d'outre-mer -, divisé entre indépendantistes et autonomistes. Qui organise ce dimanche un scrutin territorial pour renouveler son « Assemblée de la Polynésie française ».
I : LE SCRUTIN EN COURS
Le scrutin territorial pour renouveler l'Assemblée de la Polynésie française verra-t-elle le retour de Gaston Flosse et de la droite ? Tel est l’enjeu principal du scrutin.
Le vieil ami de Jacques Chirac, qui collectionne les casseroles comme son ancien leader, entend bien reconquérir la présidence dans une bataille qui l'opposera à son rival de toujours l'indépendantiste Oscar Temaru.
Pour pouvoir participer à cette élection, qui se tiend ce 21 avril 2013 pour le premier tour et 5 mai pour le second, l'insatiable autonomiste de 81 ans ( !!!) n'a pas manqué de faire appel en janvier d'une condamnation pour corruption et de se pourvoir en cassation d'une autre condamnation en février pour détournement de fonds dans une affaire d'emplois fictifs.
Dans cette collectivité du Pacifique sud à la très large autonomie, les sondages sont peu fiables et c'est à l'ampleur des défilés de rue que se mesure le poids des candidats. L'UPLD indépendantiste de Temaru a rassemblé 2.500 militants, le Tahoeraa Huiraatira de Flosse entre 8.000 et 10.000.
LE CLIVAGE FONDAMENTAL AUTONOMISTES-INDEPENDANTISTES
La position de favori de celui qui présida sans partage la Polynésie de 1991 à 2004, ainsi que la victoire totale de ses trois candidats aux législatives de juin dernier, expliquent l'acharnement déployé ces derniers mois par Temaru à tenter de faire inscrire – en vain – la Polynésie sur la liste de l'ONU des pays à décoloniser.
En Polynésie, le clivage droite-gauche a peu de sens comparé au clivage autonomistes-indépendantistes, mêmes si les premiers sont souvent liés à la droite et que le parti de Temaru a un accord électoral avec le Parti socialiste, devenu « un peu embarrassant », dixit l’AFP, quand François Hollande n'est pas favorable à l'indépendance.
Sur un corps électoral de près de 194.000 inscrits et avec un taux de participation stable de 70% aux territoriales depuis 20 ans, "on raisonne sur 140.000 voix: le Tahoeraa compte sur une base de 50.000 voix et l'UPLD sur 40.000 voix", explique à l'AFP Sémir Al Wardi, maître de conférences en science politique à l'Université de la Polynésie française.
L'HYPOTHESE D'UN SECOND TOUR PRIVILEGIEE
Sauf énorme surprise, l'hypothèse d'un second tour est privilégiée par tous les observateurs. Et pour ce second tour, les scénarii sont multiples en raison de la physionomie de ce scrutin où 9 listes ont été validées: 1 indépendantiste, menée par Temaru, 1 départementaliste a priori sans audience et 7 autonomistes, dont celle de Flosse.
C'est le morcellement chez les autonomistes qui peut amener des rebondissements: toutes les têtes de listes mènent campagne contre le "système Flosse", marqué par le clientélisme et ses dérives, et pour les valeurs républicaines et la morale.
La question est de savoir si le 5 mai verra un duel Temaru-Flosse, ou si ce sera une triangulaire voire une quadrangulaire. "Il faut se rappeler la grande surprise de 2008 et les 60.000 voix de Gaston Tong Sang (ex-Tahoeraa)", rappelle le politologue. Pour se qualifier au second tour, il faut obtenir environ 17.000 voix. "Toutes les listes qui se présentent rêvent de refaire l'exploit de Tong Sang", souligne-t-il.
Deux candidats pourraient y prétendre. D'abord Teva Rohfritsch, ancien proche de Gaston Flosse, qui joue la carte de la troisième voie avec une liste composée de maires et de chefs de petits partis. Et puis Teiva Manutahi, éducateur spécialisé, dont le parti, Porinetia Ora, symbolise le renouveau de la classe politique et a réussi à mobiliser lors de manifestations de proximité dans les communes.
LA DROITE ET L’ULTRA-DROITE FACE A LA QUESTION DE LA CORRUPTION
Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République, droite souverainiste) a fait le déplacement mi-avril pour soutenir Manutahi de Porinetia Ora, taclant au passage Marine Le Pen (Front national, néofasciste) qui avait peu auparavant rencontré Gaston Flosse et déclaré qu'elle préférait une "République immorale" (sic) à "pas de République du tout" autrement dit l'indépendance voulue par Temaru.
Alors que l'Hexagone est agité des remous du scandale Cahuzac, les affaires que traîne Gaston Flosse ne semblent pas entamer son capital de sympathie. "Il y a un rapport affectif fort avec les leaders politiques", décrypte Sémir Al Wardi, "de plus, la justice est popa'a (blanche) et le droit est français, les condamnations n'ont pas le même retentissement".
En outre, quand il a présidé la Polynésie, "il n'y avait pas la crise, les transferts de l'Etat étaient très importants (après l'arrêt des essais nucléaires, ndlr) et Flosse a redistribué, certes, sous forme de clientélisme, mais ça l'a rendu populaire", ajoute le politologue.
A Paris, on assure que l'Etat "travaillera avec le gouvernement démocratiquement élu", qui aura enfin plus de stabilité grâce à la prime majoritaire introduite dans la loi de juin 2011. Car de nombreux sujets attendent le futur président comme le redressement des finances exangues ou la relance d'une économie en berne.
II : LA POLYNESIE FRANÇAISE ET LE COMBAT POUR L’AUTONOMIE
La Polynésie française est une collectivité d'outre-mer de la République française (code officiel géographique 987), composée de cinq archipels3, soit un total de 118 îles dont 67 habitées4, située dans le Sud de l'océan Pacifique, à environ 6 000 km à l’est de l’Australie : l'archipel de la Société avec les îles du Vent et les îles Sous-le-Vent, l'archipel des Tuamotu, l'archipel des Gambier, l'archipel des Australes et les îles Marquises. Elle inclut aussi les immenses espaces maritimes adjacents5.
DE LA COLONISATION A L’AUTONOMIE TERRITORIALE
Les premiers habitants de ces îles proviennent probablement de migrations en provenance d'Asie du Sud-Est vers l'an 300. La rencontre avec les navigateurs européens entraîne à la fin du XVIIIe siècle des épidémies qui déciment les populations autochtones. Les campagnes d'évangélisation et l'introduction de l'alcool achèvent la destruction de la culture et des savoirs de chaque île. La France impose progressivement à compter de 1843 son protectorat, contrant ainsi l'influence britannique.
Il faudra attendre 1946 pour que les habitants accèdent au droit de vote et 1957 pour bénéficier d'un premier gouvernement local. La langue polynésienne ne retrouve toute sa place dans les écoles qu'en 19776. La Polynésie française est aujourd'hui une collectivité d'outre-mer, bénéficiant d'une large autonomie par rapport au gouvernement central métropolitain. Son axe principal de développement demeure le tourisme, reposant sur un patrimoine naturel et culturel exceptionnel.
En 1946, la constitution de la IVe République établit l’Union française : les EFO passent du statut de colonie à celui de territoire d'outre-mer et le droit de vote est accordé aux habitants. Le mouvement anticolonialiste se structure dans les années 1945-1949 : en 1949, Pouvanaa Oopa est élu député et fonde le RDPT, parti autonomiste, qui domine la vie politique dans les années 1950, malgré la formation de l’Union tahitienne de Rudy Bambridge, parti attaché au maintien de la souveraineté française.
En 1957, les EFO prennent le nom de Polynésie française et bénéficient d’un statut plus autonome grâce à la loi-cadre Defferre. Pouvanaa Oopa devient ainsi le premier vice-président, et chef d'un gouvernement d'élus locaux. L'assemblée est dotée de compétence accrue. Le gouverneur demeure cependant le président de celle-ci. Mais l’installation de la Ve République en mai 1958 entraîne une forme de mise au pas, avec un renforcement des pouvoirs du gouverneur au détriment du gouvernement local. L’arrestation de Pouvanaa Oopa le 11 octobre 1958, bafouant son immunité de député, condamné à 8 ans de prison et à 15 ans d'exil, est le point d'orgue de cette reprise du pouvoir par l’État central.
Dans les années 1970, deux questions d’ailleurs liées sont essentielles : celle du statut du territoire et celle des effets d'essais nucléaires qui commencent en 1966. L’Union tahitienne (Rudy Bambridge, puis Gaston Flosse), ralliée au parti gaulliste (UNR, UDR puis RPR) défend les positions gouvernementales tandis que le RDPT est plus contestataire : il est d’ailleurs dissous en 1963, ce qui amène la création du Pupu Here Aia en 1965 (John Teariki). Une nouvelle personnalité politique apparaît en 1965 : Francis Sanford, avec le parti Te Ea Api, qui adopte une orientation autonomiste. La mesure d'exil à l'encontre de Pouvanaa Oopa est levée en 1968, il est accueilli triomphalement à Papeete et devient sénateur en 1971 pour le Pupu Here Aia.
LES INDEPENDANTISTES SE STRUCTURENT
Au cours des années 1970, apparaissent des formations plus nettement indépendantistes, notamment le parti créé par Oscar Temaru (FLP/Tavini Huiraatira). Un premier changement de statut a lieu en 1977 (autonomie de gestion), complété en 1984 (autonomie interne).
Dans les années 1990 et 2000, la vie politique est structurée autour de deux partis : Tavini Huiraatira (Oscar Temaru) et Tahoeraa Huiraatira (Gaston Flosse).
LES ANNEES FLOSSE
De 1991 à 2004, Gaston Flosse règne sans partage. Il met en place un vaste réseau de propagande au service de son parti, le Tahoeraa Huiraatira. La justice lui a ainsi reproché d'avoir fait signer des « contrats cabinets » à des militants du parti, mis à la disposition de communes, de fédérations sportives, d'une radio, de syndicats ou de services sociaux.
Il est condamné le 4 octobre 2011 à ce titre par le tribunal correctionnel à 4 ans de prison ferme. Il développe également un service de sécurité (Groupement d'Intervention de la Polynésie) de plusieurs centaines d'hommes, et un service de renseignement (Service d'études et de documentation SED). Il a été condamné en appel le 28 octobre 2010 pour avoir entrepris « une entreprise de destruction systématique » des documents du SED. Il a fait également l'objet de diverses condamnations pour détournement de fonds publics, certaines procédures étant encore en cours en 2012.
En 2004, plusieurs formations se regroupent autour du Tavini et forment l'UPLD. De 2004 à nos jours une période d'instabilité chronique s'ouvre : 13 gouvernements se succèdent entre 2004 et 2011, mais seulement 3 hommes occupent la place de président : Gaston Flosse, Oscar Temaru et Gaston Tong Sang11.
EODE Press Office (avec AFP)